Chronique.
...
FRANCE.
Une note publiée par le Journal Officiel de Paris, annonce qu'à
partir du 1er novembre courant les timbres-
postes à l'effigie impériale cesseront d'avoir cours et seront
remplacés par un nouveau modèle,
portant une figure de la République, avec l'exergue : Liberté,
Egalité, Fraternité.
En appelant notre attention sur cette note, un de nos
correspondants trouve la mesure arbitraire.
Arbitraire, en effet, si la chose était fesable, mais
l'est-elle? Nous ne le pensons pas.
L'impression des timbres se faisant à l'hôtel des monnaies de
Paris, il n'est guère probable que l'administration
générale des postes de cette ville ait pu trouver un moyen
d'approvisionner de nouveaux timbres
les différents bureaux des postes départementales. La mesure ne
doit donc concerner que Paris,
où chacun aura pu échanger les timbres à l'effigie impériale
contre ceux au nouveau type.
Des raisons d'économie ont déterminé depuis, dit-on,
l'administration des postes de France à
épuiser les anciennes figurines qu'elle possède en grand
nombre, avant de mettre en circulation les
timbres nouveaux. Est-ce bien la raison d'économie ou est-ce
devant l'impossibilité d'approvisionner les
départements que cette mesure a vu le jour ? Mais nous y
songeons. Est-ce que par hasard l'image de
Sa Majesté.... l'Empereur.... Napoléon III, couronné de....
lauriers(l) effaroucherait nos fiers républicains ?
Dans ce cas, ils ont tort. Cette image, aussi glorieuse qu'elle
puisse être ou qu'elle paraisse être
ne saurait nuire à l'état actuel des choses; au contraire. Nous
ne voyons donc pas qu'il y ait nécessité
absolue de tant hâter rémission des timbres à l'effigie de la
République, alors que la France n'a pas
encore fait cboix d'un gouvernement.
M. Ch. Roussin, le premier de tous nos correspondants parisiens
qui ait eu quelque souvenir de nous
depuis l'investissement de Paris, nous a communiqué, en date du
15 octobre dernier, deux timbres,
les seuls parus à cette date, qu'il croit provisoires et qui
appartiennent au type émis en 1849.
L'impression a eu lieu sur les anciennes planches des timbres de
la République conservées à l'hôtel
des Monnaies. Les timbres ont été piqués 13 1/2.
II n'y a que deux valeurs :
10 centimes, bistre.
20 centimes, bleu.
Donc, point de liberté, d'égalité, ni de fraternité sur les
timbres, mais par contre sur tous les monuments.
Ça fait bien, ça sonne agréablement aux oreilles et puis c'est
tout. C'est l'absence de ces
mois qui fait dire probablement à M. Roussin que les timbres ne
sont que provisoires.
Il est possible qu'il s'urgisse dans les départements d'autres
timbres provisoires, là où certaines
valeurs manqueront.
A propos de timbres de la République M. W. en possède un fort
rare, type 1849. C'est un 20 centimes
bleu qui a passé par la poste. Il porte le n° du bureau
d'origine.
On sait qu'il fut question, lors de l'émission du 25 cent, bleu,
d'émettre provisoirement un timbre
de 20 centimes, de cette couleur, avec la surcharge ¦ en rouge
25 cent. On craignait à cette époque de ne
pouvoir livrer les timbres pour la date fixée, les planches du
25 centimes n'étant pas prêtes. On imprima
donc des 20centimes bleu et on en surchargea une partie. Le 25
centimes ayant pu paraître à sa
date, les 20 centimes bleus devenaient inutiles : on les
détruisit. Une feuille de 20 centimes passa
probablement avec celles de 25 centimes, dont les timbres avaient
la couleur; elle fut débitée en tout
ou en partie par le bureau n° 7280.
...
Page 85 - Le siège de Paris et la
timbrophilie.
Paris, le 6 novembre 1870.
Monsieur le Directeur,
Depuis que l'invasion en France de l'armée allemande, en
appelant sous les armes toute la population
valide du pays, a suspendu toutes les affaires, l'étude des
timbres s'est gravement ressentie pour nous de
cette perturbation violente. Tandis que notre ami B. L. subissait
à Strasbourg un siège épouvantable
dont nous ignorons encore les résultats pour lui, d'autres à
Paris fuyaient précipitamment devant
l'invasion ou le renversement du gouvernement impérial. Le plus
grand nombre restait dans la ville et
concourait à sa défense dans les rangs de la garde nationale.
Sans parler des nombreux dérangements
occasionnés par les exercices de tous les jours, les gardes sur
le rempart, qui ont été communes à tout
le monde, il nous a fallu à nous, habitants de la banlieue,
quitter précipitamment nos pénates, emportant
nos effets les plus précieux. Comme vous le pensez bien, ma
collection n'a pas été oubliée ; mais elle
est emballée dans quatre ou cinq caisses ou cartons, où il
n'est guère facile de la consulter pour le
moment. Impossible donc de continuer la révision de mon
manuscrit sur les enveloppes timbrées
et de vous en envoyer la copie. C'est un travail que nous
reprendrons à la paix. Je veux seulement vous
apprendre, si vous ne les connaissez pas, certaines
particularités qui pourront intéresser vos lecteurs.
L'investissement de Paris par l'armée allemande a été, dès le
début, aussi complet que possible et
quelques individus isolés ont seuls pu franchir les lignes
ennemies pour pénétrer dans la ville. Impossible
de compter sur des moyens aussi restreints pour communiquer avec
le dehors. Il a donc fallu
songer à des procédés plus réguliers qui ont été les
aérostats et les pigeons. A la date du 26 septembre,
le gouvernement de la défense nationale rendait les deux
décrets suivants :
PREMIER DÉCRET.
Art. 1 er . L'administration des postes est autorisée à
expédier par la voie d'aérostats montés les
lettres ordinaires à destination de la France, de l'Algérie et
de l'étranger.
Art. 2. Le poids des lettres expédiées par les aérostats ne
devra pas dépasser 4 grammes.
La taxe à percevoir pour le transport de ces lettres reste
fixée à 20 centimes.
L'affranchissement en est obligatoire.
Art. 3. Le ministre des finances est chargé du présent décret.
(Suivent les signatures.)
DEUXIÈME DÉCRET.
Art. 1er . L'administration des postes est autorisée à
transporter, par la voie d'aérostats libres et non
montés, des cartes-postes portant sur l'une des faces l'adresse
du destinataire et sur l'autre la correspondance
du public.
Art. 2. Les cartes-postes sont en carton vélin du poids de 3
grammes au maximum, et de 11 centimètres
de long sur 7 centimètres de large.
Art. 3. L'affranchissement des cartes- postes est obligatoire.
La taxe à percevoir est de 10 centimes pour la France et
l'Algérie.
Le tarif des lettres ordinaires est applicable aux cartes-postes
à destination de l'étranger.
Art. 4. Le gouvernement se réserve la faculté de retenir toute
carte-poste qui contiendrait des renseignements
de nature à être utilisés par l'ennemi.
Art. 5. Le ministre des finances est chargé de l'exécution du
présent décret.
(Suivent les signatures.)
Le lendemain, le nouveau directeur des postes faisait publier le
règlement suivant :
» En exécution des décrets qui précèdent, le directeur
général des postes a l'honneur d'informer le
public que l'ascension des ballons montés ne pouvant avoir lieu
qu'à des époques indéterminées, des
ballons libres seront lancés à partir de demain, 28 septembre,
si le temps le permet.
» Les correspondances que le public voudrait tenter de faire
parvenir par ce moyen devront être écrites
sur carton-vélin, du poids de 3 grammes au maximum, et ne
dépassant pas les dimensions d'une enveloppe
ordinaire, savoir : longueur, 11 centimètres; largeur, 7
centimètres. Cette carte sera expédiée à
découvert, c'est-à-dire sans enveloppe, et l'une des faces sera
exclusivement réservée à l'adresse.
» L'affranchissement en timbres-postes desdites cartes, fixé à
10 centimes pour la France et l'Algérie,
sera obligatoire ; celles qui seraient adressées à l'étranger
devront être affranchies d'après le tarif
des lettres ordinaires.
» Le public comprendra qu'il n'est possible de confier aux
ballons non montés que des correspondances
à découvert, à cause du défaut de sécurité de ce mode de
transport et du risque que courent ces ballons
de tomber dans les ligues prussiennes.
Les lettres fermées que le public entendra réserver pour être
acheminées par les ballons montés devront
porter sur l'adresse la mention expresse : par ballon monté.
L'affranchissement en sera également
obligatoire, d'après les tarifs actuellement en vigueur, tant
pour l'intérieur que pour l'étranger.
» Le poids desdites lettres ne devra pas dépasser 4 grammes.
» Dans le cas où toutes les lettres recueillies ne pourraient
être expédiées par le ballon monté en
partance, la préférence sera donnée aux lettres les plus
légères. »
Paris, 27 septembre 1870.
G. Rampont.
De ces deux moyens, les ballons libres et les ballons montés, je
crois qu'il a été fait très peu usage
des premiers, le départ des seconds n'ayant pas tardé, grâce
aux soins de MM. Godard et Nadar, à
prendre une régularité et une fréquence qui satisfaisaient
amplement tous les désirs du public.
La carte-poste a donc été employée en France pour la première
fois pendant le siège de Paris;
mais comme la carte de la Confédération de l'Allemagne du Nord,
elle ne porte pas son affranchissement.
On s'est servi de simples morceaux de carton vélin du poids et
de la dimension réglementaires ou
de morceaux de ce même carton portant la formule imprimée par
les soins de particuliers, sur lesquels
on appliquait les timbres-postes en usage. L'expédition par les
ballons montés a pris au contraire une
très grande extension. La lettre close qu'on pouvait leur
confier ne devant pas dépasser le poids de quatre
grammes, on a préparé divers papiers fins, mais non
transparents, qui permettent aux défenseurs de
Paris de donner à leur famille certains détails que les
Prussiens ne doivent pas connaître ou que le
gouvernement a intérêt à cacher. Une de ces formules est
constituée par un petit feuillet double
de 13 centimètres sur 10 environ. La première page porte en
tête, imprimé : Paris, le 1870.
La quatrième Par ballon monté Placer ici le
timbre-poste. Affranchissement: France et Algérie,
20 centimes ; étranger, taxe ordinaire. En pliant le feuillet,
suivant les lignes tracées, on obtient le
billet réglementaire.
Une deuxième formule sur papier azuré (celle où j'écris)
porte sur la page destinée à l'adresse les
armes de la république, soit une sorte de pierre funéraire,
portant les mots : Liberté, Egalité, Fraternité;
au-dessus, République française dans une gloire, et une main
dont les deux derniers doigts
sont fermés; au-dessous deux mains qui s'étreignent, comme sur
les anciens timbres de la République
argentine ; le tout entouré de drapeaux et de branches de chêne
et de laurier et appuyé sur une
ancre. Des sentences en allemand et en français sont imprimées
sur le surplus de la page. Est-ce
une satire que cette épitaphe de la République française, un
projet de monument funèbre conforme à
sa modestie ? Je laisse à vos lecteurs le soin de décider.
Enfin, un troisième type est à la fois une lettre et un
journal. Deux pages imprimées contiennent le
récit succinct des événements des derniers jours; la
troisième est destinée aux épanchements de la
famille; la quatrième porte l'adresse du destinataire.
L'idée ayant paru bonne, elle a donné lieu à la Lettre
Journal, à la Gazette des absents.
Quoi qu'il en soit, les ballons montés ont emporté toutes nos
lettres pour nos chers absents.
Un avis de l'administration nous apprenait il y a peu de jours
qu'au moment de l'investissement, il
existait à Paris un stock de plus de 1800 kilos de lettres; que
les ballons partis ont enlevé non seulement
toutes les dépêches remises chaque jour à la poste, mais une
partie des anciennes et qu'aujourd'hui
tout est parti et parvenu sans doute à sa destination. Les
succès obtenus par l'arrivée en lieu
sûr de tous les ballons ont engagé l'administration à recevoir
les mandats de poste ne dépassant pas la
somme de trois cents francs, mais la délivrance se fait par les
procédés ordinaires.
Voilà pour l'expédition; mais pour la réception, combien
avons-nous à désirer. Les dernières lettres
reçues l'ont été le 17 ou le 18 septembre. Depuis cette
époque, à un petit nombre d'élus ont été distribuées
les lettres apportées par de rares courriers échappés à la
vigilance prussienne. Le gouvernement
ne correspond avec Tours qu'à l'aide des pigeons voyageurs
qu'emportent les ballons et qui
nous rapportent des dépêches photographiées microscopiques. Ce
n'est pas là de la correspondance
régulière, et si nos amis nous écrivent, au petit bonheur,
quelle masse de wagons faudra-t-il employer
pour nous apporter ces lettres qui doivent encombrer tous les
bureaux de poste des principales directions.
Je ne vous ai parlé que des lettres. Des journaux et des
imprimés, il n'en est plus question. Le journal
officiel seul est emporté par les ballons montés.
Nous avons vu comment le troisième type de lettres a cherché à
y suppléer.
Parlons maintenant des timbres-postes. Quelque temps avant
l'investissement de Paris, la direction
générale avait en magasin des timbres pour une valeur d'environ
15 millions. Par les soins de M. Vandal,
ce stock fut disséminé dans tous les chefs-lieux de
département de la France pour servir à leur approvisionnement
pendant l'interruption des communications et empêcher messieurs
les Prussiens de s'en emaprer.
Car ils sont très friands de nos timbres et mettent la main sur
tous ceux qu'ils trouvent dans
les caisses de nos bureaux de poste envahis. L'em- pire tombé,
les républicains farouches ont trouvé
mauvais qu'on fît usage des timbres à l'effigie de
l'ex-empereur. On aurait pu les satisfaire, à la plus
grande joie des collectionneurs, en faisant subir aux timbres une
petite addition dans le genre de celle
qui embellit les timbres habilitados d'Espagne. Mais les
inventions étrangères sont longues à s'acclimater
en France. Cependant il ne faut pas désespérer d'apprendre
quelque jour que le secrétaire en herbe
d'un de nos proconsuls, propriélaire d'une collectionnette de
timbres a suggéré à son patron celle
idée sublime!! Mais le nouveau directeur n'eut qu'à se rappeler
(ou à apprendre?) qu'il avait existé
déjà en France, une série de timbres-postes à l'effigie de la
République, dont les planches de cuivre
conservées pouvaient encore servir. Or, cette série, on se le
rappelle avait été émise comme suit :
1er janvier 1849 |
20 centimes, noir. |
|
1 franc, vermillon, puis carmin. |
Décembre |
40 centimes, orange. |
1er juillet 1850 |
25 centimes, bleu. |
12 juillet 1850 |
15 centimes vert |
12 septembre 1850 |
10 centimes bistre |
Puis en 1862, les dits timbres avaient été réimprimés en
mêmes couleurs, sinon identiques, plus un
20 centimes bleu, dont le correspondant n'avait servi qu'à
supporter une surcharge destinée à en faire un
timbre provisoire de 25 centimes, dont on peut trouver des
exemplaires dans les collections, mais
qui n'a jamais été émis par l'administration avec ou sans
surcharge. Les timbres de 10, 20 et 40
centimes, valeurs encore employées, pouvaient être
réimprimées de suite. Les deux premières valeurs,
10 et 20 centimes, trouvent leur usage pour l'acquittement de la
taxe des lettres pour Paris et pour
les déparlements. La troisième ne Rappliquant qu'à la taxe
étrangère de pays (Italie, Portugal) avec lesquels
la correspondance doit être en ce moment à peu près nulle,
pouvait être négligée. On l'a donc laissé
de côté, ainsi que les valeurs de 15, 25 centimes et 1 franc,
qui n'entrent plus dans notre système. Cependant
nous ne voulons rien préjuger pour l'avenir.
Les timbres de 10 et 20 centimes ont été émis vers le 14
octobre, ainsi que le constate l'article suivant
du Petit Moniteur universel, du 14 octobre (paru la veille) :
« Depuis hier on a mis en vente au bureau central de l'hôtel
des postes les nouveaux timbres de la
République. Les bureaux d'arrondissement de la capitale vont
être successivement approvisionnés des
mêmes timbres et avant quelques jours M. Rampont aura satisfait
aux aigres réclamations qui lui
ont été adressées à ce sujet par certains républicains. »
Ce qui distingue à première vue ces timbres des anciens et de
la réimpression, c'est la présence de
la dentelure. Les timbres de 1849-1850 et de 1852 n'étaient pas
piqués. Les timbres actuels le sont et
comme on s'est servi de la même machine que sous l'empire, ils
sont comme ceux de cette époque, piqués
13 1/2. La couleur diffère très-peu pour le 20 cent, avec
certains exemplaires pâles de la réimpression.
Cela tient surtout à la teinte du papier, qui est plus pâle sur
le nouveau timbre ; mais il serait possible de
trouver parmi ceux-ci des exemplaires identiques.
Quand au 10 centimes, la couleur est complètement différente.
Le timbre de 1850 est bistre foncé jaune,
le timbre de 1862 est bistre jaune plus pâle. Celui de 1870 est
bistre rougeâtre. Comme pour le 20 centimes,
la teinte du papier est totalement différente.
L'ancien papier était jaunâtre; le dernier est presque blanc.
Que vous dirai-je maintenant que vous ne connaissiez mieux que
nous ? Les journaux ont parlé
de timbres-postes allemands employés dans nos provinces
envahies, où la valeur est exprimée en monnaie
française. Ce n'est pour nous qu'un bruit, car les derniers
journaux de timbres reçus ont été les
journaux du 1er septembre. Quand donc finira cet isolement qui
pèse si lourdement sur nos fronts ?
Veuillez agréer mes sincères salutations.
D r Magnus.
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